Les comportements théorique et calculé d’un système chaotique diffèrent pratiquement toujours d’une manière significative. Ceci est une conséquence de l’extrême sensibilité de ces systèmes et de la précision limitée des ordinateurs. Il est dès lors légitime de se demander s’il est vraiment utile de calculer quoi que ce soit en présence de chaos. Supposons par exemple qu’on dispose d’un modèle chaotique pour décrire le mouvement d’une planète ; toutes les positions calculées avec ce modèle seront fausses ! Les premières ne seront entachées que de petites erreurs, mais, rapidement, les erreurs deviendront aussi grandes que les positions calculées. A quoi cela sert-il donc de calculer l’orbite de cette planète ? La réponse est étonnante et incroyable : bien que l’orbite calculée soit fondamentalement fausse, elle est utile dans la mesure où elle s’approche toujours de très près d’une orbite réelle de la planète. Et cette approximation n’est pas seulement valable pour les premières positions calculées, mais pour toutes ! Cela signifie que l’orbite calculée est toujours très proche d’une orbite réelle, et qu’elle la suit, un peu comme votre ombre vous suit dans vos déplacements, quel que soit l’itinéraire que vous empruntez. Pour cette raison, on parle, dans les milieux de la recherche sur le chaos, du « lemme de l’ombre ».
Club math 1994
Chaos et calcul numérique. Le lemme de l’ombre
Mars 1994. Rétrospective