Article paru dans LE TEMPS du mardi 29 janvier 2008.
par Jacques-André Haury
Article paru dans LE TEMPS du mardi 29 janvier 2008.
L’échec de la droite libérale au fil des dernières élections - et le processus a commencé bien avant 2007 - tient probablement à la faiblesse de son programme social. À une gauche qui promet plus d’égalité et de justice sociale, la droite répond : non ! pas autant, un peu moins ! Elle appuie avec plus ou moins de force sur la pédale des freins dans la réalisation d’un programme social écrit par la gauche, comme si c’était le seul possible.
Il existe pourtant un autre programme social, tout aussi juste : celui qui se base sur la récompense de l’effort. Il est juste que celui qui fait un effort en tire un avantage. Le fameux programme de Nicolas Sarkozy, « Travailler plus pour gagner plus » exprime admirablement ce que peut être une politique sociale fondée sur le mérite.
Le fait que ce politicien soit parvenu à constituer une majorité autour d’un programme aussi opposé à l’égalitarisme ambiant montre bien que, dans l’esprit de nos contemporains, cette conception du mérite est ressentie comme juste.
Dans notre pays, plusieurs signes indiquent que la population adhère volontiers la logique du mérite.
Il nous paraît injuste qu’un requérant d’asile, bien intégré et travailleur, soit expulsé, alors que d’autres, qui profitent au maximum de notre système social, peuvent demeurer en Suisse. Il nous paraît injuste que des gens qui ont travaillé toute leur vie puissent se trouver plus démunis que certains bénéficiaires des services sociaux. Il nous paraît inadmissible qu’une vendeuse qui travaille huit heures par jour ne gagne pas assez pour se payer un logement décent.
Semblablement, certains salaires exorbitants pour des cadres qui ne quittent pas leur place lorsque les affaires tournent mal heurte doublement la logique du mérite. La liste des exemples est longue. Tous expriment un sentiment d’injustice fondé sur le mérite.
C’est sur la notion de mérite que la droite doit construire un nouveau discours. Reconstruire une école du mérite, qui valorise à la fois les meilleurs enseignants et les élèves qui font le plus d’efforts. Le salaire au mérite est un objectif de justice sociale : il n’est pas admissible que le salaire soit découplé de la qualité du travail fourni. En matière de prévoyance vieillesse, celui qui veut travailler plus et plus longtemps doit en récolter des avantages. En matière de santé, il faut oser admettre des dispositions qui avantagent ceux qui font l’effort de vivre et de se nourrir sainement. Quant aux familles qui font l’effort
de s’occuper elles-mêmes de leurs enfants, ou d’un proche handicapé, ou d’un parent âgé, il est juste qu’elles puissent en retirer un avantage.
Le mérite, c’est l’attention apportée à l’œuvre plutôt qu’à l’être. C’est la grande rupture entre l’Ancien Régime et la Révolution : vous n’avez plus à rendre compte de ce que vous êtes de par
votre naissance, mais de ce que vous faites. On remarquera que l’œuvre intéresse la res publica, alors que l’être relève de la sphère privée : ce sont des œuvres ajoutées les unes aux autres qui font une société et une civilisation. Le développement durable, c’est encore une affaire d’œuvres bien plus qu’une affaire d’êtres.
Un examen rapide de notre évolution sociale montre que cette conquête libérale est menacée. Poussée par une volonté acharnée de corriger les inégalités, la gauche tente de dévaloriser l’œuvre pour valoriser la personne. Lorsque l’action est mauvaise, on
l’excuse en mettant en avant les faiblesses de l’être : milieu
social défavorisé, formation scolaire insuffisante, fragilité psychologique sont régulièrement mis en avant.
A l’inverse, lorsque l’action est bonne, on tente de la dévaloriser en la mettant sur le compte de circonstances particulièrement favorables. Les psychologues, dont le nombre explose, en on fait
leur métier : tenter de comprendre et de connaître l’être, sans trop d’intérêt pour ce qu’il fait. (A l’école, ils ont obtenu que l’on évalue les élèves plutôt que leur travail !)
La menace vient aussi de l’extrême droite : une affiche qui distingue les moutons noirs des moutons blancs
incarne la négation du mérite : les moutons « sont », indépendamment de ce qu’ils « font ». D’ailleurs, les « conservateurs » se méfient toujours du mérite, qui met en péril les gens en place et les privilèges acquis.
Radicaux, démocrates chrétiens et libéraux sont aujourd’hui en discussion sur des tactiques de collaboration, de rapprochement, voire de fusion. Qu’ils s’emploient d’abord à connaître leur identité, leur dénominateur commun. Ce dénominateur commun est condensé dans la notion du mérite. Toutes les autres « valeurs libérales » n’en sont que des dérivés.
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