Société
La philosophie du libre
Modèle de société. Entre mythe et réalité

Les partisans du logiciel libre pensent que le modèle sur lequel il s’appuie est reproductible en dehors de la sphère informatique et qu’il pourrait revêtir une portée sociale générale. Est-ce une utopie ?

Article mis en ligne le 29 décembre 2009
dernière modification le 13 avril 2010

par Équipe des iLES

Le blog de Framasoft affiche, dans son fronton, « ce serait l’une des plus grandes opportunités manquées de notre époque si le logiciel libre ne libérait rien d’autre que du code ». Cette opportunité à ne pas manquer est-elle à même d’opérer des transformations en profondeur de la société ?

L’inspiration du libre
Parallèlement au développement du logiciel libre, certains esprits ont érigé un discours théorique qui s’inspire étroitement de la philosophie qui a présidé à ce développement. Les traits saillants de cette philosophie s’inspirent des libertés garanties aux utilisateurs de logiciels libres (licence publique générale GPL) ; liberté d’utiliser le logiciel, de le copier, de le modifier et de le distribuer.

Les modèles OSI et GPL
En 1998, l’Open Source Initiative (OSI) cherche à promouvoir un label « OSI approved » censé être moins contraignant que la licence GPL et plus attrayant pour le monde des affaires. L’initiative est condamnée par la Free Software Foundation. Pour les partisans de l’open source, les logiciels libres doivent être défendus pour l’unique raison qu’ils sont meilleurs que les logiciels propriétaires, alors que pour les défenseurs du free software, la performance technologique n’est qu’une préoccupation secondaire. Les principes défendus et le mouvement social qu’il représente sont bien plus importants à leurs yeux.

L’idéal du libre
Malgré la controverse entre open source et free software, on peut identifier l’idéal à l’œuvre dans le monde du libre : l’organisation qui prévaut est de type « horizontal ». Elle repose sur le partage de l’information et la collaboration directe entre participants. Elle s’oppose aux structures hiérarchiques pyramidales de la politique et de l’économie, même si elle admet des « dictateurs bienveillants ». L’idéal des partisans du libre est donc celui d’une communauté d’égaux qui repose sur le partage, la valorisation du mérite individuel, le jugement par les pairs et la promotion d’une éthique de la collaboration. L’organisation « horizontale » est censée permettre à chacun de concilier une grande autonomie de travail avec une inscription dans un projet collectif.

Idéal et réalité
Certaines études [1] mettent toutefois en évidence des écarts importants entre l’idéal du libre et la réalité. Le discours des défenseurs, qui prend parfois des intonations idéologiques, tend à voiler ce qui se passe en pratique. Des structures hiérarchiques informelles sont présentes, la répartition du travail peut être très inégalitaire et des manœuvres de rétention de l’information existent.

Extensions
La thématique du logiciel libre a été reprise en philosophie [2], en économie [3] et en politique [4] pour étayer des analyses de portée plus générale sur l’évolution des sociétés et pour étendre le modèle à d’autres activités sociales. Le philosophe finlandais Pekka Himanen voit dans le modèle du logiciel libre un nouveau rapport au travail qui repose sur une logique du développement de soi et qui va de pair avec un nouveau rapport au temps : la distinction entre temps de travail et loisir s’estompe au profit d’un temps flexible où travail, loisir, famille, collègues et amis se trouveraient sans cesse mélangés. L’économiste Yann Moulier Boutang perçoit, dans le modèle du libre, l’émergence d’un nouveau type d’économie fondé sur la diffusion du savoir et sur la force cognitive collective. Le mode de production est alors le travail de coopération des acteurs réunis en réseau au moyen d’ordinateurs. Avec l’expression de « société open source », Michael Hardt et Antonio Negri poussent la généralisation à l’extrême. Ils accordent au mouvement du logiciel libre une place centrale dans la construction d’un nouveau modèle de société, susceptible de fournir une alternative au libéralisme débridé et aux démocraties parlementaires.

En guise de conclusion
On peut émettre des doutes légitimes quant à la possibilité d’étendre les pratiques mises en place par les communautés du libre à l’ensemble des activités économiques et à la politique. Mais il est un domaine dans lequel elles pourraient incontestablement trouver leur place : c’est celui de l’enseignement. Vous enseignez et vous adhérez à la philosophie du libre. Faites-le nous savoir ou laissez un commentaire ! Vous avez quelque chose à partager, à faire connaître ? Dites-le et donnez les liens ! L’équipe Math & Sciences se réjouit de faire votre connaissance et de vous présenter bientôt oicp (ouverture, interactivité, collaboration, partage).

Sources
 Bruce Byfield. Le logiciel libre et le mythe de la méritocratie
 Sébastien Broca : Du logiciel libre aux théories de l’intelligence collective